Un seul et même paysage peut avoir deux visages. Alors que vos sens s'habituent à la magie intacte d'un Mont Saint Michel de carte postale, la mer décide de battre les cartes et commence son labeur - à la fois si lent et si rapide ! - tel un patient sculpteur qui décide de bousculer les courbes et lignes droites de son œuvre. La brise se lève, la surface de l'eau affiche de seyantes ridules qui palpitent au rythme de la marée. L'eau, auparavant si paisible et immobile, s'anime pour mieux battre en retraite, ne sachant que trop bien qu'elle reviendra, plus forte encore !
Elle laisse derrière elle détritus et sable, un peu d'herbe et cette indéfinissable couleur entre rose pâle du point du jour et gris nuageux. Le souffle de chaque vague résonne dans les oreilles et l'heure est à la méditation tandis que les mouettes planent, loin de toute crainte face à ce spectacle de peau de chagrin qu'elles connaissent si bien. C'est bien connu, pour changer les choses doivent rester toujours les mêmes...
Les bateaux sont autant de coquilles abandonnées à leur sort bancale, albatros maladroits posés sur le flanc, attendant que l'eau veuille bien revenir les bercer. Les baies ainsi vidées semblent perdre un peu de leur âme et de leur vie dans ce tableau devenu méconnaissable. Là aussi, une couleur de bon aloi étend son voile de poussière en attendant l'agitation vitale de la marée haute. Le paysage est suspendu, Saint Michel se fige tout en haut de la flèche, suspend son acte...
Les natures patientes seront récompensées : aussi vite qu'elle est partie, l'eau revient, insidieuse - attention à ne pas rester coincés dans une crique ! - et néanmoins porteuse d'espoirs. La vie revient, le vent se lève de nouveau, les nuages courent dans le ciel et tout à coup, sur le rocher du Mont Saint Michel, c'est une pointe d'angoisse qui étreint le cœur : la crainte de l'isolement ancré en mer, sur cet étrange bout de terre façonné depuis le Xe siècle par tant de mains pieuses et commerçantes. La mer reprend son dû, la trêve était de courte durée et le paysage revêt son deuxième visage, celui bleu et frémissant des crustacés, mollusques et poissons de la baie tandis que les bateaux s'adonnent à l'art de la flottaison rythmée et hypnotisante.
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