Dès mon arrive dans le village, la visite rituelle au tabac du coin, le seul, s'impose. Le rituel comprend aussi l'achat quasi compulsif d'une palette de livres en italien car le tabac est en fait bien plus que cela et vend aussi bien des crèmes solaires, nous sommes au fin fond de la botte en plein été, que des feutres et des allumettes, en passant sans transition par les assiettes en carton. Au milieu de tout cela, et par je ne sais quel miracle qui me convient parfaitement, il propose aussi une riche collection de livres et de magazines qui chaque été m'apporte des heures de lecture et de plaisir inégalé.
Cette fois, j'étais partie avec les idées claires : demander le dernier Andrea Camilleri, mon énième Montalbano distillé en sicilien, comme il se doit. Depuis sa toute récente sortie, j'avais lu qu'il était presque introuvable car les lecteurs s'étaient rués dessus. Et voilà que dans ce petit tabac de rien du tout, la commerçante me décoche un sourire complice et me dit que c'est mon jour de chance car le livre Una Lama di Luce, vient juste d'être livré chez eux. L'isolement et la discrétion, ça a du bon tout de même.
Surtout, elle me précise que je ne suis pas la seule à le réclamer : depuis le début de la saison estivale, elle est harcelée quotidiennement par un vacancier qui attend très impatiemment le récit des dernières aventures de notre commissaire national - oui, du même coup tout le monde oublie qu'il est sicilien car c'est une sorte de héros, ça arrange bien tout le monde d'invoquer le pays tout entier dans ces conditions, vous comprenez.
Heureuse, je repars avec le petit livre sous la main, toujours la même maquette sobre des éditions Sellerio, c'est devenu un classique de mon mois de juillet ou d'août. Et de là, c'est au quart de tour que j'aménage mes pauses de lecture sous le soleil exactement, entre grains de sable, coquillages et goûters à la plage. Montalbano est torturé dans cette histoire, et pas seulement par les traces d'huile solaire et les gouttelettes sucrées des raisins avalés entre deux pages : un rêve prémonitoire le tenaille, tout comme les souvenirs d'une vie passée peut-être ratée, une chance qu'il a laissé passer et une femme belle et intelligente qui vient détruire ses confortables repères. Autour de ce complexe tissus s'articulent les enquêtes dans le domaine de l'art, des ventes d'armes et des débarquements d'immigrés, elles se croisent, se séparent et s'entrechoquent. Le rêve devient malheureusement réalité et ramène Montalbano à ses choix de vie, à tout ce qui l'anime et ce qui aurait pu être sa vie. Une intrigue riche et tortueuse qui dessine un Montalbano changeant, pris de doutes et basculant entre son rôle de personnage public et une nécessaire introspection.
J'espère sincèrement que mon concurrent au petit tabac a réussi à se procurer un exemplaire (je suis bonne joueuse, moi j'ai le mien...) : ce serait bien dommage de passer à côté de cette tranche d'enquêtes de la plus belle eau "montalbanienne".
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